2ème miracle eucharistique du 6 avril 1553
Les tableaux, retables, peintures murales de Jehan Bellegambe, Artiste douaisien qui mit si souvent et avec tant d'empressement tout son art et ses pinceaux au service du temple du Saint-Sacrement de Miracle et dont une des œuvres fut l'objet d'un miracle avec un nouveau prodige eucharistique dans la chapelle des Récollets Wallons en 1625
« L'INSIGNE COLLÉGIALE DE SAINT AMÉ »
Partie, relative au Culte voué par les siècles au Saint-Sacrement de Miracle et aux splendeurs qu'il suscita, donc aux œuvres de Jehan Bellegambe dont l'art et les pinceaux décorèrent jadis et avec tant de munificence le palais du Très Saint-Sacrement de Miracle
L'Insigne Collégiale de Saint-Amé.
Malheureusement les belles peintures du chœur : saints Jean, Matthieu, Luc, Augustin et des quatre saints dont les corps reposaient dans la susdite Collégiale : saint Maurand, saint Amé, saints Onésyme et Gourdaine ainsi que l'incomparable retable de la chapelle de saint Maurand ont disparu après la grande restauration de 1640 et le revêtissement intégral de marbre noir et blanc, style Louis XIII. C'est à cette époque qu'on vit apparaître également le nouveau jubé qui s'harmonisait si bien avec le nouvel ensemble de l'insigne Collégiale.
Aussi pour permettre aux amateurs de se faire une plus juste idée de ce précieux concours de Jehan Bellegambe au Culte extérieur du Très Saint-Sacrement de Miracle et rendre par le fait à ce grand artiste peintre douaisien, tout le juste tribut d'admiration et de reconnaissance qui lui est dû, nous allons consacrer quelques pages à ses plus beaux chefs d'œuvre. Ils sortent d'ailleurs des abbayes voisines de l'insigne Collégiale de Saint-Amé Marchiennes, Anchin, Flines, de la Cathédrale d'Arras et des couvents de Douai.
Les circonstances dans lesquelles fut exécuté par Jehan Bellegambe, pour la famille Pottier de Douai, le triptyque de l'Immaculée Conception présentent un caractère pieux et touchant.
Marguerite Pottier, fille de Jean et de Marguerite Muret, tomba gravement malade la veille de son mariage. Elle comprit que Dieu allait la rappeler à Lui. Pieuse et animée d'une grande dévotion envers la Conception immaculée de la Sainte Vierge, vocable ses lequel une chapelle avait été dédiée l'année précédente dans l'église des Récollets Wallons de Douai, elle exprima sur son lit de mort le désir d'être enterrée près de l'autel de cette chapelle et supplia son père de consacrer la dot qui lui était destinée à décorer cet autel d'un retable en l'honneur de l'Immaculée Conception. Jean Pottier prit l'engagement d'exaucer la dernière volonté de son enfant et celle-ci s'endormit dans le Seigneur le 14 avril 1521. Le père et la mère de Marguerite n'oublièrent pas la promesse faite à leur fille mourante. Pour l'accomplir ils s'adressèrent à l'habile maître à qui les Chapitres et les abbayes avaient confié de grands et difficiles travaux : à Jehan Bellegambe. Et cinq ans après, le retable de l'Immaculée Conception était achevé et placé sur l'autel de la chapelle des Récollets Wallons. Des vers qui étaient tracés sur 2 colonnes au bas du volet central, aujourd'hui perdu, exposaient sous une forme naïve les circonstances que nous venons de rappeler.
Vingt-sept ans après avoir été placé sur l'autel de l'Immaculée Conception, ce triptyque faillit être détruit. Le 6 avril 1553, vers deux heures du matin, un incendie dévora le couvent des Récollets Wallons :
« Ceste maison, dit le Père Lhermite religieux S. J., fut réduite en cendres en 3 heures, de façon que les cloches et les chandeliers de l'autel étant consumés, le pal et le ciboire où estoit enclos le très auguste Sacrement, demeurèrent entiers, miracle éclatant. Et tous les tableaux estant dévorés s par les flammes, celui de la Conception immaculée ne fut pas même touché de la fumée. On admire encore aujourd’hui la rareté de la peinture mais bien davantage la gloire de la Vierge qui reluit dedans miraculeusement »
Ce fait est consigné dans un manuscrit de la Bibliothèque Nationale : Fonds latin n° 9921. Ce manuscrit ayant pour titre Chronicon Duaceno Minoriticum, a été rédigé par le Père Lepreux du dit Couvent de 1725 à 1730. Buzelin, dans sa Gallo-Flandriae, cite le même fait au sujet de l'incendie de la chapelle des Récollets Wallons de Douai d'après récit d'un autre religieux du même couvent, le Père Amé de Ricquebourg. Voici le texte de Gallo-Flandriae :
« Et ceteris altarium tabellis in cinerem redactis, sola tabula sacelli Conceptionis remansit intacta quae adhuc hodie propter singularem picturae et pictoris exceilentiam ab omnibus conspicitur ad majorem Filiique matrisque virginis gloriam. Douai 1625, p. 417 »
Le manuscrit déjà cité de la Bibliothèque Nationale rapporte le même fait et ajoute qu'à l'époque où écrivait l'auteur, c'est-à-dire de 1725 à 1730, tout le monde contemplait ce tableau à la plus grande gloire du Fils et de sa Mère, la Vierge Marie : manuscrit n° 9931 de la Bibliothèque Nationale, p. 257.
Ces dernières expressions font supposer que, vers 1730, les trois parties du triptyque le panneau central et les 2 volets mobiles, existaient encore. En 1792 le peintre Caullet, chargé officiellement de dresser l'inventaire des « Tableaux trouvés dans la ci-devant église et maison des Récollets Wallons de Douai », fait la description suivante de ce tableau
Cette description s'applique parfaitement aux 2 volets mobiles du triptyque ; aucun autre article de l'inventaire ne peut se rapporter au panneau central. Avait-il déjà disparu ? Avait-il été soustrait par les religieux ? Ou le peintre Caullet l'a-t-il dédaigné comme une couvre gothique et sans valeur ?
« N° 12. - Le Pape sur son trône avec des cardinaux et des évêques ; plusieurs inscriptions gothiques ; en bois très curieux pour le fini, peint des deux côtés, 2 pieds 11 pouces de large sur 8 pieds de haut. »
« N° 13. - Le pendant du précédent représentant une famille à genoux derrière laquelle se trouve un cordelier tenant en main le beffroi de Douai, et des Douaisiens à côté de lui, et plusieurs autres figures gothiques ; conformément au précédent, peint sur bois d'un côté et de l'autre en blanc (en grisaille) 2 pieds 11 pouces de large sur 8 pieds de haut (Archives Départementales Nord, district de Douai, liasse 181) ».
On croit être sur la piste d'une copie de cette partie centrale dont l'origine de Bellegambe est assurée par l'ancien archiviste départemental du Nord : Mgr Dehaisne. Nous en parlerons plus loin après l'analyse des 2 volets de l'Immaculée Conception.
Confisqués, transférés en divers locaux et jetés au milieu d'autres objets, dans l'ancienne chapelle des jésuites comme le polyptyque d'Anchin, les 2 panneaux de l'Immaculée Conception firent partie des œuvres de rebut, mises en vente les 1er, 2 et 3 décembre 1818. Ils ne trouvèrent pas acheteur ; et c'est grâce à ce dédain qu’ ils restèrent dans le Musée de la ville de Douai, dont ils sont aujourd'hui l'un des objets d'art les plus précieux, le plus fréquemment visités.
En voici la description d'après Mgr Dehaisne. Les deux panneaux de l'Immaculée Conception, rouvre exécutée par Jehan Bellegambe de 1521 à 1526, sont peints sur bois. Leur hauteur au point le plus élevé est de 3 m. 53 et leur largeur de 0 m 92. Ils ont formé, jusqu'à la Révolution, les 2 volets mobiles d'un triptyque dont la partie centrale a disparu. Le sujet de cette partie centrale était, comme nous l'apprennent plusieurs auteurs, cités plus haut qui ont écrit de visu : l'Immaculée Conception. C'est bien en effet à ce sujet que se rapportent toutes les scènes, toutes les inscriptions tracées sur les 2 volets à l'extérieur comme à l'intérieur. Les panneaux extérieurs sont peints en grisaille avec quelques tons de chair sur les figures. Ils montrent plusieurs épisodes de la vie de saint Joachim et de sainte Anne empruntés à la Légende Dorée, sujets que les peintres, les sculpteurs et les miniaturistes de l'École primitive rattachaient ordinairement à l'Immaculée Conception. Le volet de droite représente saint Joachim repoussé par le Grand Prêtre à cause de la stérilité de sa femme. L'époux de sainte Anne a offert un agneau qui est déposé sur la Table du Temple. Le Grand Prêtre Issachar rejette ce présent d'un air dédaigneux. L'admirable tête de saint Joachim est empreinte, comme son geste et son attitude, d'un profond sentiment de tristesse résignée, avec lequel contraste la pose orgueilleuse du pharisien Ruben qui se tient debout devant lui. A gauche d'Issachar une figure large, épanouie, coiffée d'une sorte de capuchon qui peut personnifier le sensualisme, et un autre personnage au sourire satisfait, tenant dans les bras un chevreau et semblant ne pas craindre d'essuyer le même affront. A droite du Grand Prêtre, z figures indifférentes, image de l'insouciance naturelle à la plupart des hommes. Dans le fond on entrevoit 2 têtes, dont l'une tournée vers Joachim sourit avec une expression de mépris très prononcée, tandis que l'autre contemple Issachar avec une admiration approbative.
Le panneau de gauche représente sainte Anne distribuant des aumônes aux pauvres afin d'obtenir du ciel le bonheur d'être mère. La figure de la Sainte est grave et triste, son attitude modeste et gracieuse. Plusieurs mendiants s'avancent vers elle ; 3 femmes d'âge différent, dont la première, de la main droite, retient un enfant, qui a l'air de vouloir s'échapper pour prendre part à des jeux, et, de la main gauche, présente à la Sainte une large coiffe toute déformée. Au milieu de ces femmes, un vieillard infirme de la jambe gauche qui se soutient sur 2 béquilles. Tout à fait en arrière 2 pèlerins reconnaissables à leurs longs bâtons. La suivante de sainte Anne, que les Évangiles apocryphes nomment Judith, porte un panier rempli de pains ; sa figure est charmante sous le costume des jeunes filles flamandes de la fin du Moyen Age. Dans le fond du panneau à l'arrière-plan s'entrevoient deux scènes, qui se rapportent au sujet principal et montrent que les désirs des deux époux ont été exaucés. Dans une chambre, l'archange Gabriel annonce à sainte Anne que sa stérilité cessera, et sous la porte dorée dont parle la Légende, saint Joachim, qui a eu la même révélation, rencontre sa femme venant au-devant de lui.
Ces 2 sujets et ces épisodes sont disposés sous des arcades serai-Renaissance, semi-Roman avec des échappées sur des constructions ogivales et de lointaines perspectives comme nous en avons vu dans les autres tableaux de Bellegambe. Mêmes chaînes de cuivre doré flottant d'un motif d'architecture à deux chapiteaux, mêmes festons en pierre trilobés courant le long des arcades surbaissées, mêmes écailles en coquilles dans le tympan, mêmes rampants sur les rebords extérieurs des arcatures.
Les 2 panneaux intérieurs offrent la même décoration architecturale et, en outre, pour les inscriptions, les cartouches de marbre et les banderoles de parchemin qui caractérisent les œuvres de Bellegambe. Ils représentent l'église tout entière et en particulier la ville de Douai et la famille de jean Pottier glorifiant l'Immaculée Conception. La doctrine et la tradition sont rappelées dans leur ensemble et leurs détails, avec une savante précision et un remarquable bonheur. Dans le panneau de droite sur un trône de marbre est assis un pape, portant la tiare et la croix à triple traverse du Souverain Pontife ; au-dessus de sa tête un cartouche attaché à l'arcade principale sur lequel on lit en caractères gothiques Mater Dei, virgo gloriosa, a peccato originali semper fuit preservata. Ce texte est emprunté à la troisième constitution publiée par le Pape Sixte IV au sujet de l'Immaculée Conception. C'est donc ce Souverain Pontife qui est représenté sur le panneau ; il personnifie la suprême autorité, proclamant la vérité de l'Immaculée Conception.
Cette vérité est aussi attestée par les Docteurs de l'Église grecque et latine. Au pied et en avant du trône pontifical sont trois personnages, deux assis sur les marches et l'autre debout à gauche. Le premier, la tête rasée, revêtu de la pourpre des cardinaux, ayant à ses pieds un lion, soutient de la main gauche une croix à deux branches qui repose sur son épaule et laisse échapper de la même main une banderolle sur laquelle il est écrit : In aula virginali et nulla sarde maculata, de spiritu sancto est sermo conceptus, Hieronim. Sap. Es. 9° C. Ce personnage, comme l'indique ce texte, est saint Jérôme ; sa tête rasée et sa figure amaigrie rappellent ses austérités ; le lion lui est donné pour emblème, pour rappeler sa vie au désert ; à cause du zèle avec lequel il a défendu les Souverains Pontifes on lui a souvent donné le costume et les insignes du Cardinalat - dignité qui ne fut créée que plusieurs siècles après sa mort. C'est l'un des quatre grands Docteurs de l'Église latine.
Les deux autres personnages qui sont près de lui en avant du trône sont aussi deux docteurs de l'Église latine, saint Augustin et saint Ambroise. Saint Augustin tient de la main gauche un cœur enflammé, son symbole ordinaire, de l'autre il porte la crosse épiscopale et laisse échapper une bande de vélin, qui offre ces mots : Propter honorem Domini cum de peccato agitur. Mariae Virgini nullam prorsus intendo habere quaestionem. Saint Ambroise tient la crosse de la main gauche, dans laquelle se trouve en outre un fouet, emblème rappelant son énergie à l'égard de Théodose et de l'impératrice Justine ; de la droite il tient un livre sur lequel on lit : Ambras. in Omel. De innocuo grege sancta et immaculata illa intacta ovis processit Maria, que nobis purpureum agnum Jesum Christum generavit.
Au deuxième plan, derrière le trône du Souverain Pontife, à droite se trouvent les docteurs de l'Église grecque, qui viennent aussi proclamer leur croyance à la Conception Immaculée de Marie. Dans l'arcade étroite où ils se pressent, le premier qui porte la crosse épiscopale peut seul déployer sa banderole en parchemin. On y lit : Si taro virginis pars est cum Christo et taro Christi est pars cum Virgine, quomodo illud sacrum de quo Christus carnem et naturam humanam assumpsit tradiderit corruptioni. Joa. Chrisost. Comme ce texte l'indique, l'évêque qui est en tête du groupe des docteurs de l'Église grecque est saint Jean Chrysostome.
Pour rappeler qu'outre les docteurs, les évêques des églises d'Orient, d'Occident se sont unis dans la croyance à l'Immaculée Conception, deux scènes ont été représentées dans les deux balcons suspendus au-dessus des entrecolonnements. L'un de ces balcons porte plusieurs évêques d'Occident dont l'un lance une bulle dans l'espace, cérémonie qui a lieu à Rome du haut de la loge de Saint Pierre, lorsque le Souverain Pontife publie une décision dogmatique. Sur l'autre balcon se trouvent des évêques orientaux qui semblent prendre part à l'action et rendre de même hommage à la même croyance. Ainsi sur le panneau de droite l'Église personnifiée par le Souverain Pontife, les docteurs de l'Église latine et grecque et par les prélats d'Orient et d'Occident, proclame la vérité de la Conception Immaculée de la Sainte Vierge.
Sur le panneau de gauche, nous voyons la même doctrine attestée par l'illustre Faculté de Théologie de Paris, par les ordres religieux que représentent deux des couvents établis à Douai et par la famille échevinale de cette même ville qui avait attesté la foi des laïcs en faisant exécuter la peinture. Dans le monument formant le fond du panneau de gauche s'ouvre une large fenêtre au centre de laquelle apparaît un évêque entouré de sept personnages appartenant à divers ordres religieux. L'inscription Facultas Theologiae Parisiensis tracée sur le bord de l'arcade principale fait connaître que ces huit personnages ont fait partie de la Faculté de Théologie de Paris. L'opinion de cette Faculté au sujet de l'Immaculée Conception est exprimée dans les mots suivants incomplets et à demi effacés qui sont empruntés à ses statuts et tracés sur un cartouche suspendu au centre de l'arcade : « Sancta Virgo Maria, mater Dei, per nullum carnalitatis vinculum, in nomine tue, culpa originali subjecta fuit ». C'est bien la pensée de la Faculté de Théologie de Paris, qui avait décrété qu'elle n'admettrait point comme docteurs ceux qui refuseraient de s'engager à soutenir cette doctrine. Elle fit en effet pendant plusieurs siècles rigoureusement exécuter cette ordonnance.
L'évêque qui occupe le premier rang, en tenant un livre ouvert et semblant proclamer une décision doctrinale, est Saint Bonaventure. En effet le nom de cet illustre docteur de l'Université de Paris se lit sur le livre qu'il tient à la main, et au bas on peut déchiffrer le mot: « Seraphinus », surnom donné à ce pieux écrivain. Sous la chape qu'il porte on distingue la robe grise et la corde des Franciscains, ordre auquel il appartenait. A gauche, apparaît la vénérable figure d'un autre docteur de Paris, Pierre Lombard, qui au milieu du XII" siècle défendit énergiquement la doctrine de l'Immaculée Conception. Il semble écouter saint Bonaventure avec un recueillement extatique et de sa main tombe un phylactère portant ces mots : « Caro quam ex Virgine Maria dignatus est..., sine vitio concepta est et sine peccato nata est... Petr. Lombardus. Sen. di 3° C. 20. - A droite un franciscain peut-être Duns Scott lui-même désigne d'un geste ferme et précis une feuille de vélin attachée sur un pilastre de l'arcade, mode autrefois usité pour la publication des thèses de théologie. Sur cette feuille on lit : D. Scott, 3. Sen. di 3° Ic. i8 : « Potuit Deus facere quod gloriosa Virgo Maria nunquam fuit in peccato originali, et quod potuit fecit ». Plusieurs figures de prêtres et de religieux, autres docteurs de Paris forment le fond du groupe.
Dans une seconde ouverture un peu en arrière de la première et beaucoup moins large sont encadrées trois têtes dont le type juif ne peut être méconnu. Celle qui porte une couronne est évidemment David, les deux autres doivent rappeler les prophètes. Ainsi l'Ancien Testament vient aussi, dans cette vaste composition, glorifier l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge Marie.
Une troisième ouverture, parallèle à la deuxième, éclaire l'extrémité du tableau. C'est dans cette baie et un peu dans la précédente que s'entrevoient au loin les principaux monuments de Douai au XVe et XVI" siècles. Les tours et les clochers gothiques sont groupés avec habileté dans cet étroit espace ; en avant des autres édifices et plus soigné dans les détails se détache le beffroi de Douai surmonté encore du riche couronnement gothique qu'il portait avant l'incendie de 1471.
Au deuxième plan sont deux religieux, un franciscain et un dominicain. Le franciscain rappelle que les Récollets Wallons avaient établi la dévotion à l'Immaculée Conception dans la ville de Douai. II tient, en effet, dans sa main droite un monument qui est la reproduction exacte de l'Hôtel de Ville et du beffroi après 1471. Le beffroi est surmonté du gracieux couronnement d'architecture flamande et non espagnole comme on l'a dit, qui fut construit après 1471 et que l'on admire encore aujourd'hui. Derrière la tête de ce religieux se déroule une banderole sur laquelle on lit les paroles suivantes relatives à Douai : « Et servi mei puritatis tuae ortum sacratissimum venerantes, virgo gloriosissima, civitatem hanc sanctam hereditabunt ».
Le dominicain tient dans la main gauche un bâton, en haut duquel est attachée une bande de parchemin portant ces mots : « Talis fuit pueritas beatae virginis Mariae, quae a peccato originali fuit immunis ». Thoma. de Aqui, I Sum. d 41 9. 3, etc...
Ces deux religieux sont peut-être saint François et saint Dominique, peut-être deux moines qui personnifient les ordres de ces deux saints fondateurs. En tout cas leur doigt qui indique l'hôtel de ville, les expressions : « servi mei et civitatem hanc sanctam , les monuments de Douai et son beffroi reproduit avec ses deux couronnements différents, révèlent assez que les Franciscains et les Dominicains de Douai viennent, au nom de leurs ordres, rendre aussi hommage à l'Immaculée Conception.
Enfin au premier plan est agenouillée la famille de Jean Pottier qui a donné un témoignage éclatant de sa dévotion envers la Conception Immaculée en faisant peindre le triptyque. En tête de ce groupe un bourgeois d'un aspect grave et vénérable, revêtu d'une longue houppelande bordée de riches fourrures, est agenouillé les mains jointes. Auprès de lui, aussi à genoux et mains jointes, sa femme qui paraît âgée de 40 à 45 ans et porte de riches bijoux, bagues et chapelets. Derrière, dans la pieuse attitude un jeune homme de 20 à 25 ans, une jeune fille d'environ 18 ans et une autre fille de 11 à 12 ans. A leurs pieds, un épagneul. C'est la famille qui a fait exécuter le tableau. - Jean Pottier, le riche bourgeois, sa femme Marguerite Muret, leur fils Jean, leur toute jeune fille Jeanne et enfin la pauvre Marguerite, la jeune fiancée enlevée par la mort, à la touchante inspiration de laquelle est dû le chef-d’œuvre de Jehan Bellegambe. Un blason rappelle que c'est bien la famille Pottier qui a fait peindre ce triptyque : on voit au haut du panneau en grisaille, représentant sainte Anne distribuant des aumônes, les armoiries de cette famille « D'azur à trois pots d'argent, deux en chef et un en pointe et une roue d'or posée en abîme ; pour cimier un casque surmonté d'un pot ; comme support et soutien de l'écusson un pot à deux anses ». Ces armes sont bien celles de la famille Pottier car elles sont reproduites dans l'armorial de Flandre : Paris 1856, p. 177.
Afin de rappeler à la famille et à tous ceux qui viendront prier devant ce tableau les consolations qu'ils pourront trouver dans la confiance en Marie Immaculée, le peintre a représenté auprès de la mère et des deux jeunes filles un ange tenant à la main une tablette sur laquelle se lit le texte suivant emprunté à saint Bernard : « Bernard. super miss. Judicii terrore perterritus, baratro incipias absorberi tristicie, desperationisque abysso confundi, cogita Mariam ; in periculis, in angustiis, in rebus dubiis invoca Mariam ».
Tout dans les deux volets mobiles, concourt donc à la glorification de la Conception Immaculée de la Sainte Vierge. Les groupes, les personnes, les textes sont inspirés par cette idée. Et si par la pensée on rétablit les deux volets dans la position qu'ils occupaient quand le panneau central existait encore, on voit tous les personnages tourner les yeux vers ce panneau et l'indiquer du regard, de la main ou du doigt.
Le sujet peint sur le panneau central était certainement l'Immaculée Conception. Mais comment Jehan Bellegambe l'avait-il représenté ? En l'absence de tout document, de toute description qui nous le révèle, Mgr Dehaisne l'érudit archiviste départemental du Nord émet une opinion qui paraît certaine. M. Amédée Thomassin amateur distingué de Douai possédait dans sa collection vers 1864 un très petit tableau qu'il a permis de faire dessiner et dont Mgr Dehaisne posséda une fine gravure sur bois ; ce petit tableau est évidemment une œuvre de Jehan Bellegambe. C'est son genre, sa touche bien caractérisée ; ce sont ses pavillons avec soubassements ornés d'arabesques avec colonnes en marbre rouge à base et à chapiteaux de cuivre, c'est le paysage, la perspective, la feuillée des arbres que l'on trouve dans tous ses tableaux. Il y a dans les deux pavillons deux groupes d'évêques et de docteurs qui rappellent exactement les personnages des groupes du panneau où se trouvent le pape, les docteurs et les évêques ; deux petites scènes représentées dans le lointain, saint Joachim et sainte Anne se rencontrant sous la porte dorée, et surtout sainte Anne distribuant des aumônes à la vieille femme qui retient un enfant par la main et au vieillard appuyé sur des béquilles, sont les mêmes groupes que ceux des panneaux décrits plus haut. Dans ce petit tableau Jehan Bellegambe a conçu, d'une manière très hardie, très originale, le sujet de l'Immaculée Conception. Sainte Anne dont le type rappelle tout à fait celui de la même sainte dans le panneau en grisaille, est représentée les mains jointes, pieusement agenouillée devant un prie-Dieu sur lequel repose un livre ouvert. Elle est revêtue d'une robe à longs plis en partie recouverte d'un manteau. Sur son sein, à travers la robe dans une douce lumière vaporeuse entourée de rayons rosacés, l'œil entrevoit vaguement un tout petit enfant, aux formes à peine distinctes. Rien de plus délicat, lien de plus chaste que cette création.
Mgr Dehaisne croit que ce petit tableau serait l'esquisse de la première pensée de Bellegambe pour son triptyque de l'Immaculée Conception. En sorte que le sujet principal qui s'y trouve offrirait le sujet central du grand triptyque exécuté pour la chapelle des Récollets Wallons. Grâce à l'amitié dont le conservateur du Musée de Douai honore l'auteur de ces lignes, nous avons pu obtenir communication de la photographie de ce petit tableau de M. Thomassin esquisse de Bellegambe pour son panneau central, et que Mgr Dehaisne fit reproduire. En voici d'ailleurs avec les superbes héliogravures des deux volets recto et verso la reproduction également en héliogravure.
Au nom de Mgr l'Archevêque, de nos supérieurs ecclésiastiques, comme en notre nom personnel, nous remercions bien vivement M. Stéphane Leroy d'avoir bien voulu nous les communiquer et nous autoriser à les reproduire que nous devons nécessairement intégrer dans cet ouvrage pour permettre aux lecteurs de se faire une plus juste idée des splendeurs picturales de l'Insigne Collégiale de Saint-Amé avant la grande restauration de 1630-1640. Les amateurs verront ainsi combien notre grand artiste douaisien contribua avec tout son génie à faire de l'Insigne Collégiale de Saint-Amé le digne palais du Très Saint-Sacrement de Miracle.
Retable de Saint Amé
Retable de l'immaculée conception, aujourd'hui au musée de la Chartreuse de Douai, au centre du deuxième miracle eucharistique Douai le 6 avril 1553.
Triptyque de l'Immaculée
Conception, face interne des volets
vers 1526
Huile sur bois
Jean BELLEGAMBE
(1470 - 1535)
Musée de la Chartreuse de DOUAI