Quel est le chanoine qui a sauvé l'Hostie ?

 

Rouvrons le fameux billet trouvé avec la Sainte Hostie Miraculeuse dans la boîte en fer blanc contenu dans le petit coffret donné par Alexandre Mornave à l'autel des Trépassés de l'église Saint-Pierre et découvert par M. l'Archiprêtre Héroguer en octobre 1854.

En voici très exactement la teneur

« Ego infra scriptus Ecc. Coll. S. Amati canonicus, imminente profanationis periculo valde honorandam de Stmo Miraculo hostiam, jam substractam et fauste compertam in hac pixide  collocavi et fidelibus eamden... aturis hoc testimonium propr. - anu scriptum reliqui hac die Vigilia, Epiph. an. 1793 ».

Il est dit dans ce billet :

1° Qu'un chanoine de la Collégiale de Saint-Amé a soustrait l'Hostie du Miracle à la profanation et l'a renfermée précieusement dans la boîte où elle se trouve, la laissant à la vénération des siècles futurs ;

que le chanoine a signé de sa main.

 

Voilà donc le champ des recherches bien circonscrit. C'est un chanoine de l'Insigne Collégiale qui a fait le sauvetage de l'Hostie Miraculeuse.

Or, ainsi que nous l'avons vu précédemment, l'abbé Pauchet, qui faisait fonction de curé de Saint-Amé, mort en prison en 1798 avait dû démissionner en 1791 pour refus du serment constitutionnel. Le Chapitre fut également dissous à cette époque d'où son Doyen à qui revenait la charge de pourvoir au remplacement du Curé de Saint-Amé, M. le Chanoine Chevalier, qui devint ensuite Vicaire Général de Cambrai, ne pouvait plus intervenir pour désigner un remplaçant qui aurait eu la grande responsabilité de sauver l'immense Trésor de la Collégiale, son bien incomparable et le plus précieux : la Sainte Hostie Miraculeuse.

D'autre part, il était urgent avant l'arrivée du curé constitutionnel (avril 1791) l'abbé Caille, en qui on n'avait nulle confiance et pour cause, d'assurer le salut de la Sainte Hostie. Nous avons prouvé plus haut pourquoi.

Dans ces conditions, M. de Ranst de Berckem, ancien Prévost de Saint-Amé et toujours résidant à Roost-Warendin dans le château de sa famille, par conséquent pouvant se rendre facilement à Douai où il avait conservé son pied-à-terre près de la Collégiale, s'est donc cru par la plus sainte de toutes les lois (et les fidèles savent bien que nous nous ferions tous tuer pour la Sainte Eucharistie) - de veiller à la préservation, au salut et à la conservation d'un tel trésor divin (En sorte que lorsque noir affirmons que la Sainte Hostie a été sauvée du péril de profanation révolutionnaire, notre pensée ne désigne pas seulement les forcenés de novembre 1793, mais les mains indignes du Curé constitutionnel Caille. Et de fait le billet de M. de Rouet est antérieur à novembre 1793 puisqu'il indique qu'à la date Vigile de 1'Epiphanie 1793, donc janvier 1793, l'Hostie était déjà sauvée « JAM SUBSTRACTAM »).

Peut-on alors vraisemblablement douter qu'il ait manqué à un devoir aussi grave et aussi important. Et même poser la question dans de telles circonstances n'est-ce pas la résoudre ?

Mais il y a mieux, le chanoine qui déclare avoir sauvé l'Hostie Miraculeuse, c'est-à-dire celle conservée à Saint-Amé, et l'avoir placée dans la boîte de fer blanc donnée par Alexandre Mornave à Saint-Pierre et découvert par M. Héroguer, affirme formellement signer sa déclaration de sa propre main.

Si donc il s'élève quelque équivoque sur la personnalité du signataire, la nomenclature précise de la Composition du Chapitre de Saint-Amé et de ses bénéficiers que nous avons reproduite ci-dessus, d'après : « Souvenir à l'usage des habitants de Douai, 1822 », va nous permettre en parfaite connaissance de cause, de voir où se trouve la vraisemblance, la probabilité et d'arriver ainsi à l'identité, d'autant que la signature nous fournit ainsi qu'on peut le constater d'après la teneur du billet reproduit ci-dessus, des données évidentes. Nous y lisons parfaitement de Ran...

De ce chef n'apparaît-il pas déjà plus que probable, comme le démontrent objectivement les pièces à conviction, que M. de Ranst doit être considéré comme l'auteur du Billet que nous avons sous les yeux ?

Sans doute les spécialistes pour des motifs différents, et dont nous sommes maintenant moralement sûrs et que nous exposerons plus loin, n'ont pas conclu affirmativement.

Mais environ un an après le pronostic des spécialistes nommés par la Commission d'enquête et la suspension parle Cardinal Régnier, archevêque de Cambrai, le Révérend Père Possoz qui fit partie de cette Commission a pu comparer le billet signé par M. de Ranst avec une autre pièce écrite par ce vénérable Prêtre et l'identité des deux écritures a été scientifiquement affirmée et déclarée ensuite par certificat - reconnu officiel - du professeur d'écriture spécialiste de ce genre de travaux et résidant dans la ville de Nantes...

le certificat d'identité dont nous avons pu contrôler l'authenticité.

 

Certificat de M. Decorose, professeur, expert d'Écriture à Nantes.

Le R. P. Possoz, de la Cie de Jésus m'a soumis après les avoir examinées lui-même très attentivement, deux pièces d'écriture, savoir: une lettre de l'abbé de Ranst portant la date du 31 décembre 1785 commençant par ces mots : on sollicite, etc... et un billet rédigé en latin commençant par ces mots : infra scriptus... écrit sous la date du 5 janvier 1793.

J'ai d'abord examiné le caractère général de l'écriture de ces deux pièces, puis j'ai comparé  les différentes lettres entre elles :

  1° Le billet latin est écrit en coulée, genre d'écriture généralement usité en France à cette époque : la lettre du 31 décembre 1785 est également écrite en coulée  Dans cette même lettre, je remarque que, par le peu de pente que l'auteur a donnée à certaines lettres cette coulée approche des formes de l'écriture française, vulgairement appelée ronde ; je remarque la même particularité en latin... Je conclus que le caractère général de ces deux pièces est identique...

 2° Si je compare les lettres en détail, je découvre une similitude frappante particulièrement dans les (s) dont la forme se dessine dans la pièce française comme dans la pièce latine, au-dessous de la ligne d'écriture ; dans les (m) dont la pente diffère de la pente des autres lettres ; dans le (c) qui ont exactement le même tracé, dans les (t) qui sont barrés de la même manière ; dans les (i) dont le point est placé à la même hauteur. Je découvre bien quelque différence dans certaines lettres, mais très peu considérables, insuffisantes pour ébranler notre conviction, ainsi les (a) sont toujours fermés dans le billet latin et ils ne le sont pas dans la lettre française ; les (1) sont bouclées d'un côté et pas de l'autre ; or il est évident que cela vient uniquement de ce que le billet latin a été écrit à la main posée et que la lettre française a été expédiée à main courante. Et il est d'expérience que ces variantes se rencontrent dans toute écriture de personnes qui surtout n'ont jamais tenu à bien écrire.

 Mais que penser de la signature ? Elle est suivie d'un parafe dans le billet latin, elle n'en est pas accompagnée dans la lettre française ; cette signature est pourtant bien la même dans les deux écrits, et quant au parafe des personnes dignes de foi (des notaires) affirment qu'à l'époque où ont été écrites les deux pièces précitées, on avait généralement l'habitude de n'apposer le parafe à la signature que sur les pièces de quelque importance, tels que des actes notariés, certificats, etc...

Enfin, j'ajouterai que si l'on remarque une certaine hésitation, une sorte de tremblement  dans l'écriture du billet latin, on doit évidemment l'attribuer aux circonstances graves de l'époque et à l'impression sous laquelle ce billet a été écrit. D'après cet exposé, je conclus et j'affirme qu'il y a identité entre le billet latin qui commence par ces mots : infra scriptus et la lettre qui commence par ceux-ci : on sollicite, et que la signature de Ranst de chacune des deux pièces est du même auteur...

Nantes, le 2 février 1856.                  DECOROSE,

Professeur d'écriture Collège des Frères, rue Bel-Air.

Vu pour légalisation de la signature de M. Decorose

apposée ci-dessous en Mairie de Nantes, le 2 février 1856,          

Pour le Maire

 Greslé, adjoint »

Vu pour légalisation de la signature de M. Greslé, adjoint au Maire de Nantes.

Nantes le 2 février 1856                      

Pour le Secrétaire Général :

Le Conseiller de Préfecture.

FAVRE-COUVEL

 

 

Les deux signatures sont accompagnées des cachets des deux administrations compétentes. En sorte que voilà nettement établie l'authenticité du document latin que nous regardons comme pièce maîtresse de toute notre argumentation.

Nous voici donc certains de l'authenticité du billet de M. de Ranst, dans lequel il nous affirme qu'il a soustrait au péril imminent de la profanation l'Hostie Miraculeuse de Saint-Amé. De par ailleurs, il est impossible de soupçonner de mensonge la déclaration écrite de M. de Ranst. En effet, pourquoi et comment pourrions-nous mettre en doute sans de sérieux motifs la probité de cet ancien Chanoine de Saint-Amé qui, dans les mauvais jours, a su confesser sa foi avec le plus grand héroïsme et qui en 1794 pour échapper à ses persécuteurs, a dû quitter son pays, s'exiler en Angleterre où il est mort loin des siens, dans les sentiments de la plus vive piété.

N'est-ce pas suffisant pour affirmer que le courage et la vertu de ce confesseur de la foi le mettent à l'abri d'une supposition aussi gratuite et aussi injurieuse ?

Et puis dans quel but M. de Ranst aurait-il fait ce mensonge ? Dans quel intérêt aurait-il consigné cette imposture dans un billet écrit de sa main, qui, s'il eût été trouvé par les révolutionnaires (et il n'était pas impossible qu'il le fût) l'aurait exposé aux plus graves dangers ?

Ainsi qu'il ressort de tous ces témoignages précités, nous avons donc à présent toute garantie nécessaire sur l'authenticité du billet de M. de Ranst de Berckem par lequel il affirme formellement :

 1° avoir sauvé la Sainte Hostie Miraculeuse ;

2° que cette Hostie est bien celle de Saint-Amé, heureusement soustraite au péril imminent de profanation et déposée dans la boîte de fer blanc.

Et pour que nul n'en ignore, mais que tous reconnaissent dans l'ensemble de cet exposé non un plaidoyer pro domo, mais le caractère totalement et constamment objectif de son contenu, et en déduisent la solution qu'il requiert à bon droit, citons comme conclusions deux témoignages de personnalités tout à fait impartiales bien qualifiées pour pouvoir se prononcer en parfaite connaissance de cause, du chef même de leur situation, à savoir

1° M. de Glay, ancien archiviste départemental du Nord, paléographe averti et très judicieux dans ce genre d'appréciations tout à fait de son ressort, et qui déclare que : « discuter et disputer davantage sur l'authenticité de cet écrit, ce serait être plus chicanier qu'il n'est permis de l'être ». - Cf. l'Abbé Collet, p. 30 : «l'Hostie Miraculeuse de Saint-Amé ».

2° M. Leroux de Bretagne, ancien Premier Président de la cour de Douai en 1855 et qui assura au Doyen de Saint-Pierre : « Quand ce billet ne serait pas signé et qu'on ne saurait pas de quelles mains il est sorti, il serait dans le procès le plus important que l'on puisse imaginer, une preuve incontestable. Je voudrais avoir cette cause à plaider, je ferais un plaidoyer qui arracherait en faveur de l'authenticité de cette Hostie, l'assentiment de tout le monde. Nous ne pouvons dans ces sortes de choses désirer qu'une certitude morale et il y a ici, une certitude morale du plus haut degré ». (Abbé Collet, p. 46, même brochure).

Dont acte à tout esprit impartial.

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